« Un déclenchement de vie » pour un compositeur aux abois
Difficile de vivre de sa musique, a fortiori lorsqu’une galère pointe sur le chemin. C’est pour cela que le Comité du cœur est là. Et cette solidarité, où les éditeurs ont leur rôle à jouer, fonctionne ! En témoigne Thierry Perrier, fondateur de Passport Songs Music et ancien administrateur de la Sacem, qui a pu voir cette chaîne d’entraide à l’œuvre pour un de ses artistes…
Vous connaissez bien le Comité du cœur. Quelle est, selon vous, son importance, notamment du point de vue d’un éditeur ?
J’ai fait plusieurs fois des dons au Comité du cœur parce que je trouve cela important. C’est un comité qui permet aux auteurs et compositeurs qui se retrouvent abandonnés, dans une vraie difficulté (qu’elle soit passagère ou plus durable), de recevoir de l’aide. Je pense que, sans le Comité du cœur, ils auraient plus de mal à trouver de l’aide.
Vous avez été amené à contribuer activement pour aider un compositeur de votre entourage. Pourriez-vous expliquer comment cette situation s’est présentée ?
J’ai rencontré ce compositeur par l’intermédiaire d’une compositrice qui est chez nous à l’édition depuis 25 ans. C’était un collaborateur absolument charmant, toujours de bonne humeur, très positif et un très bon compositeur. Il était ingénieur du son, réalisateur et compositeur, et avait travaillé pendant des années à Londres dans un studio très connu. Il est rentré en France juste avant le confinement. La situation est devenue extrêmement difficile car, avec le confinement et l’interdiction de sortir, il n’a pas pu rapatrier tout son matériel d’ingénieur du son (table de mixage, etc.) resté à Londres. Il ne pouvait plus travailler, alors qu’il avait eu du succès sur plusieurs œuvres. Il avait même signé chez deux majors.
Comment ces difficultés se sont-elles matérialisées et comment êtes-vous intervenu avant que le Comité du cœur ne soit sollicité ?
Il a commencé à rencontrer des difficultés pour payer son loyer. Son propriétaire lui a écrit et lui a demandé de partir. Il se retrouvait totalement démuni et avait honte ou, en tout cas, était gêné. Il m’a dit qu’il allait se retrouver à la rue. Pour moi, c’était hors de question de le laisser dans cette situation. Je l’ai aidé à trouver un hébergement temporaire dans un premier temps.
Quel a été le rôle du Comité du cœur dans l’accompagnement de ce compositeur ?
Je l’ai encouragé à contacter le Comité du cœur, en lui expliquant qu’il n’y avait pas de honte et que cette structure était faite pour ça. En parallèle, en tant qu’éditeur, je l’ai aidé financièrement pour qu’il puisse manger. C’est un travail commun – de l’éditeur, de la compositrice et du Comité du cœur – qui a permis à ce compositeur de s’en sortir. Le Comité du cœur a continué de l’accompagner, et lorsqu’il a pu s’installer dans un nouvel appartement (obtenu grâce à l’aide de la mairie d’arrondissement, ce qui a pris des mois), le Comité du cœur l’a aidé financièrement pour son installation car il n’avait rien. J’ai pu lui donner du matériel de studio que j’avais gardé pour qu’il puisse se réinstaller et retravailler.
Comment s’est terminée cette histoire ?
Aujourd’hui, ce compositeur va bien et a repris son travail. L’accompagnement du Comité du cœur a été un déclenchement de vie. En plus du soutien financier et logistique, cela lui a permis de se repositionner dans sa vie personnelle et de compositeur. Il a recommencé à prendre soin de sa santé. Sans le Comité du cœur, je ne sais pas comment cela se serait passé, car je n’avais pas les moyens financiers de l’accompagner davantage.
Pourquoi l’aide du Comité du cœur est-elle si nécessaire aujourd’hui ?
Nous sommes entrés dans une période où gagner sa vie en tant que compositeur ou auteur est extrêmement difficile. Le streaming, par exemple, ne rapporte quasiment rien. Une seule écoute représente 0,009 € pour l’ensemble des ayants droit de l’œuvre (auteurs, compositeurs, éditeurs). Il faut un « tube énorme » pour espérer gagner sa vie avec le streaming. Si rien n’est fait, tout un pan de la culture française va soit disparaître, soit fonctionner autrement. Auparavant, les ventes de CD généraient beaucoup de droits, permettant aux jeunes compositeurs de commencer à vivre de leur travail. Ce n’est plus la même situation. Pendant le confinement, la situation s’est empirée pour beaucoup de créateurs et c’est à ce moment-là que j’ai pris encore plus conscience de la vraie fragilité des auteurs et compositeurs.
En tant qu’éditeur, comment peut-on soutenir davantage le Comité du cœur ?
Je pense qu’il faut vraiment inciter les auteurs et compositeurs qui ont des revenus corrects, ainsi que les éditeurs, à abonder au Comité du cœur.
L’aspect humain et l’aspect économique sont liés. Accompagner un compositeur en difficulté lui permet de continuer à travailler, de faire des droits, et donc d’alimenter en retour l’édition de droits. Pour une maison d’édition, en fonction de ses moyens, on pourrait envisager d’abonder jusqu’à 5 000 € par an… d’autant plus que c’est déductible fiscalement.
Thierry Perrier, fondateur de Passport Songs Music et ancien administrateur de la Sacem.




